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Je partageais ma chambre avec ma soeur, Marthou. Nous avions un grand lit, objet souvent de nos litiges. A cette époque, le drap de dessous avait une couture dans la deuxième partie de sa vie. Neuf, il était d’une seule pièce qu’on partageait pour rassembler les deux bords en meilleur état, le plus usé se retrouvait sur les bords. |
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La couture en générale, était au milieu de nous et nous servait de partage. Il fallait entendre nos discussions, le soir, quand l’une de nos fesses débordait ! Devenues un peu plus grandes, nous avons eu droit à deux lits jumeaux ! Les discussions ont changé de registre. Ma sœur n’avait peur de rien et j’étais la reine des trouillardes. Je ne me décidais jamais à monter parce que j’avais peur : du loup comme des voleurs. Marthou se régalait à amplifier cette peur. Dans l’escalier, elle me disait en me montrant un coin obscur : « regarde, là, les yeux du loup qui brillent ». Arrivées dans la chambre, elle me disait entendre des bruits, faisait semblant de regarder sous les lits si quelque voleur ne se cachait pas. Je ne sais pas si j’y croyais vraiment, mais j’étais morte de peur, et je n’arrivais pas à m’endormir. Souvent maman grondait Marthou, mais courageuse comme elle, ses explications se teintaient de moquerie, et je n’arrivais pas à la croire. J’ai fini par me procurer un grand coutelas (celui de la cuisine du cochon), placé sur ma table nuit, cela me rassurait quelque peu. Le matin tout s’éclairait avec le jour, et notre entente était parfaite malgré la différence de nos goûts. J’aimais les poupées, elle préférait grimper sur les arbres où elle attendait Germaine, la fille de notre sœur aînée. |
Simone et sa nounou en 1915 |
Nous avions une lingère, Marie ; elle venait l’après-midi, et partageait son temps entre le raccommodage et le repassage. Le linge était de fil, de coton ou de métis. Il s’usait et on en prenait soin ; on mettait des pièces aux endroits usés. On faisait des reprises, on tournait le col et les poignets des chemises et on repassait, ce qui n’était pas une mince affaire surtout les chemises d’homme, les chemisiers de femmes et nos robes. Comme nous avons béni les premières apparitions du nylon ! J’aimais m’installer prés de Marie. |
Elle m’apprenait à coudre et je me régalais à faire des robes à ma poupée Bleuette. J’avais de l’idée et du goût. Je faisais des jolies choses, mais je désespérais notre pauvre lingère par la qualité de mon travail : c’était du faufilage et non de la fine couture. Marie égayait nos après midi des chants, en parlant de son Ariège natale. |
"la serre" |
Maman m’avait acheté un petit fer sur le modèle de ceux de Marie.
Nous le chauffions sur la cuisinière, comme elle, je l’approchais de ma joue
pour sentir s'il était chaud. Il m’arrivait même d’y cracher dessus, pour
juger au grésillement son degré de chaleur. Quel émerveillement de notre brave lingère devant son premier fer électrique !! |
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Nous travaillions au Cagibi, une petite pièce dans le prolongement de la
serre, petit coin de rêve, magnifiquement éclairé, chauffé tout à la fois par
le soleil et relayé par le chauffage central les jours de grisaille. |